contes berrichon

Publié le 4 Août 2018

Vers le milieu du XIXe siècle, dans la commune de Reuilly, un laboureur fut, un soir, poursuivi par la Grand’Bête ; c’était, disait-il, un animal gros comme une taure de deux ans, avec de grandes cornes, de grands poils roux hérissés, de grands yeux brillants. Quand il courait, la Grand’Bête courait ; quand il marchait, elle marchait ; quand il « restait d’arrêt », elle « restait d’arrêt ». Par instants, elle lui appuyait sa tête sur l’épaule et elle « l’haleinait » de si près qu’il sentait son souffle chaud lui passer sur le visage. Il se réfugia, haletant, dans une ferme voisine, sise à l’embranchement de trois routes. Après s’être réconforté quelque temps au coin du feu, il prit son courage à deux mains et sortit en chantant à tue-tête pour se donner du cœur. La Grand’Bête l’attendait de l’autre côté des bergeries. Il rentra précipitamment et resta jusqu’au lendemain.

 

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Publié le 17 Juin 2016

Petit conte moral et citadin.Premiere partie

 Petit conte moral et citadin

 

 

Il y a bien longtemps, le long d'un fleuve, éloignées de quelques lieues, deux villes s'observaient. La première était bâtie à flanc de coteau et se nommait Marcheventre, la seconde érigée sur un piton rocheux, se faisait appeler Châtel-le-Val. Chacune de ces villes s'enorgueillissait d'un château et d'un donjon, mais ces châteaux et ces donjons, abandonnés depuis des lustres, menaçaient ruine. Il faut dire que de mémoire de villageois, aucun duc, comte ou baron n'avais jamais résidé en ces lieux. Les deux villes vivaient là, ignorées du monde. Un jour le bourgmestre de Marcheventre décida d'inspecter le château et le donjon de sa ville : il vit que les pierres jonchaient le sol, que des trous béants déchiraient les toitures, que les fenêtres à meneau pleuraient leurs orbites vides. La tristesse envahit cet homme de devoir. A son retour, le bourgmestre réunit les Marcheventrus et leur dit : – Je viens de monter jusqu'au château et au donjon : ils sont en piteux état ! Nos ancêtres les ont construits pour nous, pour assurer notre défense, et nous les avons laissés à l’abandon. Les habitants gardèrent le silence et le bourgmestre repris : – Si chacun d'entre nous voulait partager une partie de son bien, une partie de son savoir et de son travail, peut-être alors pourrions les sauver tous les deux ! Un homme qui avait une carrière de pierres dit : – je peux donner des moellons. Un homme qui avait un bois dit : – Moi je peux vous fournir des grumes. Un autre prit la parole : – Moi je suis charpentier, je peux en faire des poutres et des solives. Tous se manifestèrent, qui pour transporter les pierres et le bois avec son tombereau, qui pour maçonner, qui pour menuiser, qui pour donner à manger à tout le monde.

Le bourgmestre,

les remercia et pensa qu'il avait bien de la chance de vivre au sein de cette communauté si urbaine. Peu de temps après, à son tour, le bourgmestre de Châtel-le-Val entrepris la même inspection dont le résultat fut tout aussi inquiétant, mais seule la résignation se lut sur le visage de cet homme de peu de conviction. Malgré tout, le bourgmestre se décida lui-aussi à réunir ses Chatelvalliens. – Je me suis promené autour de notre château et de notre donjon, leur état m'inspire une réelle inquiétude. Les villageois ne dirent rien et le maire poursuivit : – Pensez-vous que nous puissions faire quelque chose pour les sauver de la ruine ? Un homme dit : – il faudrait des pierres, j'ai bien une carrière mais je ne peux rien donner, j'en ai besoin pour réparer le mur de mon jardin. Un autre ajouta : – Il faudrait du bois pour la charpente, j'ai une petite futaie mais elle suffit à peine à me chauffer l'hiver. Un dernier renchérit : – Je suis charpentier, mais j'ai trop de travail et mon temps c'est de l'argent…

Après quoi

chaque Chatelvalliens rentra chez lui. Dans l'année qui suivit, le chantier autour du château et du donjon de Marcheventre alla bon train. Certains jours il ressemblait à une ruche au printemps. Les pierres tombées furent replacées, des moellons tout neufs furent ajoutés là où ils manquaient, les poutres vermoulues furent changées et des ardoises angevines vinrent colmater les brèches de la toiture, chaque fenêtre à meneau reçut une croisée toute neuve avec des verrières plombées. L'été, le soleil couché, on dressait au pied des murailles une longue table de bois autour de laquelle chaque travailleur s’asseyait, une procession de mets de toutes sortes montait alors de la ville d'en bas pour les rassasier. Souvent des trouvères venaient jouer et chanter pendant ces repas, des repas de fête. Après dix-huit mois, le travail fut achevé, les ruines restaurées. Rien ne restait du chantier, sauf un fois l'an, un grand banquet sous les étoiles pour se souvenir du travail qu'on avait eu plaisir à faire. Pendant tout ce temps, la vie continuait à Châtel-le-Val, morne et terne, au pied des ruines immobiles qui dominaient la ville. Seuls les chutes de pierres par grosse pluie ou fort dégel, ou le vol de quelques ardoises par grand vent, rompaient la quiétude du lieu et dérangeaient les choucas des tours qui y avaient élu domicile. .................

Pascal de Gosselin

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Publié le 17 Juin 2016

 

Petit conte moral et citadin (suite)

 

Quelques années plus tard, un prince et sa petite suite suivait le fleuve dans l'espoir de trouver un gîte pour l'hiver qui venait. Il était parti guerroyer si loin et si longtemps qu'il ne connaissait plus personne et que son escarcelle était presque vide. Un soir il vit à l’horizon l'image d'un château et d'un donjon en ombre chinoise devant le soleil :

  • Voilà une forteresse certes un peu mal en point mais où nous allons pouvoir déposer nos couches et nos coffres.

    C'était Châtel-le-Val !

     

    Arrivé devant la maison communale, le bourgmestre sortit pour les accueillir :

  • Pouvons nous profiter de l'hospitalité de votre château, nous avons guerroyé et cherchons une demeure pour nous accueillir, demanda le prince ?

    Le bourgmestre acquiesça avec joie, pensant que ce riche noble allait peut-être restaurer le château et le donjon qui en avaient grand besoin.

    Ce dernier leur indiqua une auberge où dîner, mais les prix étaient si exorbitants qu'ils ne prirent qu'un repas pour deux.

     

    Encore affamée, la petit troupe regagna le château afin d'y passer la nuit. Il plut à verse jusqu’au matin et le prince et ses hommes ne purent fermer l'oeil, fuyant les ouvertures sans porte ni fenêtre, évitant le ruissellement de la toiture béante. Il voulurent faire un feu de broussailles dans la grande cheminée, mais elle était obstruée par des blocs de pierres et ils furent enfumés comme des jambons d'Auvergne.

  • Ce n'est pas ici que nous que nous pourrons passer l'hiver, murmura le prince.

     

    Le lendemain au petit matin le prince et sa suite quittèrent Châtel-le-Val pour toujours, en longeant le fleuve.

    Au soir ils aperçurent devant eux une autre ville et un autre château.

  • Nous verrons bien, dit le prince à la cantonade, plus prudent cette fois.

     

     

    Cette fois aussi le bourgmestre de la ville, c'était celui de Marcheventre, les accueillit devant la maison communale, le prince fit sa requête en précisant « pour la nuit seulement ».

  • Mon prince, vous et votre troupe êtes chez vous ici, dans notre château, pour le temps qui vous semblera bon. En attendant suivez-moi, l'aubergiste vous attend.

    Il mangèrent et burent à loisir tant et si bien que le prince se demandait si sa bourse y suffirait. Mais l'aubergiste ne voulut rien accepter, qu'un remerciement.

     

    Une mauvaise surprise les attendait au sortir de la taverne : leurs bagages et leurs chevaux avaient disparus.

    Désabusés une fois encore, ils montèrent au château en espérant que les lieux seraient plus accueillants que la veille.

    Passée la porte, ils eurent une autre surprise : leurs coffres et leur couches avaient été disposés dans une grande salle, au fond un feu de bon chêne crépitait dans la haute cheminée. Dans la pièce  voisine, il y avait une botte de foin devant chacun de leurs chevaux.  

     

    Reposé, dès le lendemain, le prince demanda à rencontrer le bourgmestre. Il lui raconta ses guerres, son dénuement certes momentané, enfin le besoin d'un gîte pour passer l'hiver, lui et ses compagnons.

  • Nous avons restauré notre château et notre donjon, répondit le premier des Marcheventrus, mais ils sont restés vides, sans vie et sans prince. Nous vous offrons à tous le gîte et le couvert en contrepartie de votre protection.

     

    Ainsi fut fait.

    A l'arrivée du printemps, bien des choses avaient changées au château de Marcheventre : chaque pièce était maintenant meublée, des tentures habillaient les murs, même le donjon possédait deux canons défensifs tournés vers la vallée.

    Certains des compagnons du prince avaient trouvé compagne en ville pendant que d'autres cultivaient les champs, jadis en jachère, autour du donjon.

    Il n'était plus question de partir.

     

    Petit à petit des hôtes de marque de plus en plus nombreux et nobles rendirent visite au prince. Leurs escortes hébergées en ville, participaient ainsi à l'essor de la cité.

    Un jour, le roi lui même et sa suite séjournèrent trois jours pleins à Marcheventre.

    Cette bourgade hier inconnue, devint d'un jour à l'autre une étape réputée, on dit même que certains pèlerins sur la route de St. Jacques de Compostelle, faisaient un détour pour admirer son château et profiter de son hospitalité qui était devenue légendaire.

     

     

    De nouveaux artisans s'installèrent, le marché du samedi attirait maintenant la foule des grands jours.

    La tradition du « Banquet de la Restauration » était plus vive que jamais : c'était l'occasion de réjouissances dans toute le ville et au pied du château. Le prince tenait chaque année à présider les festivités.

    Il faisait bon vivre à Marcheventre.

     

    Mais que devenait donc Châtel-le-Val ?

    Rien, rien du tout. La ville qui avait été prospère mourait doucement dans l’indifférence générale de ses habitants. A l'image du château, la ruine, comme une lèpre, gagnait les maison, les échoppes, l'autrefois célèbre marché aux bestiaux.

    Toutefois, certains Chatelvalliens regardaient avec envie du côté de Marcheventre, mais il était trop tard. On ne refait pas le monde avec un simple regard.

 

 

Pascal De Gosselin

 

Remerciements à Monsieur Pascal de Gosselin pour ce petit conte

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Publié le 18 Février 2012

LE HUPEUR
Claude Seignolle

Mon vieil ami, le docteur***, de Châteauroux, m'avait conseillé de visiter la gentilhommière de Guernipin, en Brenne, entre Méziéres et Rosnay.., si toutefois le maître des lieux m'y conviait, son caractère n'étant pas toujours en harmonie avec celui des étrangers qui le sollicitaient.
Ainsi découvris-je Guernipin et Geoffroy de la Tibaldière, fieffé zoologiste, célibataire heureusement sans famille qui, sacrifiant son confort à une exceptionnelle collection d'animaux empaillés, naturalisés ou en bocaux, logeait dans une étroite chambre sur un lit de sangle, chacune des vingt autres pièces confortables étant gavée en priorité d'une faune poussiéreuse et docile.
Il m'ouvrit largement les portes de son zoo en chambre, m'avouant que cette coriace et envahissante collectionnite remontait à sa haute enfance.
Il l'avait bêtement attrapée dès l'âge de huit ans en enfermant, par jeu, dans des boîtes d'allumettes vides, tous les insectes vagabondant sur la propriété de Guernipin, vénérables cercueillets soigneusement étiquetés, autrefois rutilants, aujourd'hui fripés par le temps, à l'image de la peau de leur propriétaire qui se montra confiant au point de m'accorder leur manipulation.
Guidé par le connaisseur le plus parfait puisque M. de la Tibaldière était un alerte vieillard de quatre-vingt-cinq ans et lui-même pièce de collection en forme de fichier, je fus invité à parcourir attentivement ce capharnaüm de plumes, poils et écailles.
Cet après-midi-là, nous ne visitâmes que les pièces du rez-de-chaussée et l'arrivée du crépuscule, baissant son rideau sur ces merveilles locales ou exotiques, me laissa sur ma faim.
Aussi, ayant pris goût à cette chasse sans danger ni fatigue, je ne savais comment lui faire entendre que je désirais tout voir.
Il alla au-devant de ma gourmandise en me proposant de passer la nuit dans le haut lit à rideaux de la chambre paysanne qu'il avait fait reconstituer au grenier de Guernipin.
Nous dînerions sans façon à la cuisine, et nous pourrions ainsi continuer à visiter sa mémoire érudite, tout en mangeant l'omelette aux girolles et le confit d'oie truffé pendant que Sylvain, le domestique, veillerait à maintenir dans nos verres le niveau d'un reuilly, seigneurial à sa façon.
En vérité, M, de la Tibaldière étant bavard, j'allais satisfaire son impérieux désir.

Le bouquet du reuilly fit pétiller le parfum des girolles, s'épanouir celui des truffes et, disons-le, chauffa la langue déjà alerte de mon hôte.
A minuit, qui fut paresseusement épelé par l'horloge ventrue, il parlait toujours, dos au feu, servi par Sylvain, quinquagénaire basané jusqu'à la tignasse et ayant des allures de vieille Mauresque, ressemblance courante dans cette partie du Berry proche du Poitou, qu'a contaminée l'occupation sarrazine.
M. de la Tibaldière évoqua ses chasses lointaines et aventureuses du temps où la mire ne tremblait pas devant son oeil ; il s'attarda avec amour à me retracer la vie brénouse aux heures de sa jeunesse, ses patientes explorations de gîtes, nids et bauges, et glorifia la vie effervescente de ce terroir mi-eau mi-terre, paradis sans égal pour la faune sédentaire ou migratrice.
A une heure du matin, ma tête pesait de connaissances nouvelles en ornithologie : col vert (Anas platyrhyncha), chipeau (Chaublasmus stepera), tadorne - je me fais grâce du latin - milouin, héron, foulque, cul-blanc, râle (Rallus aquaticus), je n'ai pas oublié), tous minutieusement présentés : aspect, cris, moeurs et plus encore.
Sylvain s'était tassé sur le banc de chêne, tiré près de la cheminée et, patient comme un chien qui calcule d'avance tous les os à venir, bâillait de fidélité.
Quant à moi, malgré la fatigue de cette longue journée, je n'osais rompre avec un amphitryon aussi généreux d'accueil que de propos, espérant toutefois qu'il ne tarderait pas à s'ensommeiller lui aussi.
Mais il enchaîna sur la faune mythique que les Brennois, superstitieux en diable, prêtent aux nuits brennoises.
Il me parla du Hupeur.
Ma curiosité remise à l'étrier, je me redresse : un Hupeur ! voilà qui allait me convenir pour une brève chasse à la légende, même si j'étais las.
A ce nom, glissant sur le banc, Sylvain s'était encore rapproché du feu comme pour s'éloigner de nous, regardant avec attention les braises craquantes à croire qu'il n'en avait jamais vu.

- Vous devez savoir, m'interpella M. de la Tibaldière, qu'autrefois la famille de ces oiseaux-là était répandue au point que chaque marais de France et de Navarre possédait son propre esprit appeleur, sournois volatile qui conviait les naïfs à l'épouvante totale...

J'acquiesçai, pendant qu'il enchaînait sur une brillante énumération : Ouyeux de Normandie, Annequins des Ardennes, Houpoux de Bretagne ou Hueurs du Limousin, êtres protéiformes pondus jadis par l'imagination populaire et couvés à longueur de nuits troubles par les paysans crédules.
Ici on avait un Hupeur, le seul encore vivant de tout le pays et, sans doute, le dernier de partout ailleurs.
Alors, mon hôte mima d'épauler un fusil et menaça en grossissant sa voix :

 - Je ne l'ai jamais aperçu, sinon !...

Et ce sceptique me tira un malicieux clin d'oeil avant de s'adresser à son domestique sur un ton compatissant :

- N'est-ce pas, Sylvain ?

Mais, faisant une tache à son obéissance, celui-ci ne répondit pas.

Enfin, je fus rendu à moi-même.
Mon hôte se leva et me confia au domestique, lui donnant des ordres pour que rien ne me manquât, puis il nous congédia par une alerte volte-face que je lui envie.
Sylvain prit un broc d'eau, une lampe et, passant devant moi, me conduisit lentement, sans se retourner, par de longs couloirs et de raides escaliers jusqu'au grenier, ma chambre.
Je ne fus point déçu, comme je l'avais craint.
Au contraire, l'endroit, bien qu'étouffant de chaleur absorbée par le toit, était propre et agréable.
Vaste aussi, avec de magnifiques charpentes vernies qui scintillèrent à notre passage.
Le lit à rideaux, en bois de noyer, sentant la cire, et le drap un peu rude que je soulevais exhala un parfum de lavande.
Quant aux quatre bouquets de cretonne à fleurs, liés aux montants, s'il me firent redouter quelques araignées se cachant là, je me rassurais en pensant qu'elles devaient être très certainement épinglées, étiquetées par espèces, donc prisonnières et inoffensives.
Comprenant mes craintes, Sylvain s'empressa de déployer les étoffes et de les secouer afin de me montrer qu'aucune n'y logeait.
Et il consentit pour la première fois à me sourire.
L'autorité de M, de la Tibaldière devait lui peser et, sans doute, désirait-il bavarder un peu.
Aussi, il m'expliqua les lieux avec amabilité, m'indiquant où trouver la table de toilette ainsi que l'oeil-de-boeuf, source d'air frais qu'il s'empressa d'aller ouvrir.
A ce sujet, comme je lui faisais remarquer que cette étroite ouverture serait insuffisante, il me fit signe de le suivre vers une porte qu'il déverrouilla et poussa.
Nous montâmes les marches d'un étroit escalier de pierre et débouchâmes sur la terrasse d'une tour crénelée que je n'avais pas remarquée de jour, en arrivant à Guernipin.
La vue circulaire était prodigieuse.
Partout, loin à la ronde, les plans d'eau, étangs ou lacs, brillaient à la lune, grosse cette nuit-là, et donnaient l'impression de s'enchevêtrer à l'infini.
Encadrée par une végétation grasse de pénombre, mais en réalité maigre de taillis, l'aquatique Brenne m'apparut tel un joyau, dédaigné pour quelque défaut et relégué dans ce coin d'oubli du riche Berry.
Je devinais Sylvain fier de la surprise qu'il m'offrait.
Ne lui cachant pas mon émotion, je lui demandais des détails.
L'homme savait sa Brenne par coeur.
Je connus bientôt le nom de chacun de ces miroirs à lune, de chaque lande et de chaque marais dont le plus proche était là, à le toucher du bout du pied, une méchante terre pourrie en voie de se durcir mais encore traître à l'imprudent : le marais de Gobe-Boeuf.
Me sentant à présent loin de toute envie de dormir et de quitter cet admirable paysage nocturne où il ne manquait qu'une touche de vie, je dis à Sylvain :

- Quel dommage que ce fameux Hupeur ne soit qu'une légende, sinon je l'eusse écouté et applaudi avec enthousiasme !

Le domestique me saisit vivement le bras et le serra.
Je compris que mon propos venait de lui faire perdre son plaisir. Le ton de sa voix baissa à s'éteindre presque.

- Ne le souhaitez jamais, monsieur, souffla-t-il, surtout par cette sorte de nuit... C'est celle qui lui convient pour nous diriger vers la mort...

Et il m'obligea à quitter les lieux.
Revenu dans le grenier, il referma et verrouilla soigneusement la porte de la tour.
A la lumière retrouvée, je vis avec surprise son visage défait et couvert d'une fine sueur, Ajoutez à cela un tel air de crainte que j'eus envie de le consoler par une réconfortante bourrade.
Mais, intéressé et fort de mon incrédulité, j'usais d'une plus adroite mise en confiance et parvins à le faire asseoir avec moi sur le bord du lit, où, unissant le ton de mes questions à celui de son inquiétude, j'obtins quelques éclaircissements sur ce redoutable oiseau.
Ainsi appris-je que celui dont avait parlé M. de la Tibaldière existait réellement, Mieux, que son lieu de prédilection était le marais de Gobe-Boeuf, donc là, à cinq ou six portées de fusil de nous et à égale distance du village.
Il ne présentait aucun aspect effrayant et pouvait être n'importe quel oiseau commun, mais changeait continuellement d'espèce afin de mieux berner ses victimes.
Dans son cri, saillait une note de plus... Un rien de stridulant : sa malédiction...
L'écouter, c'était perdre sa volonté malgré soi pour ne plus agir que selon la sienne.
Obéissant, on sortait de son lit, on quittait la sécurité de sa maison et on allait en chemise, tel un somnambule, vers cet oiseau d'Enfer qui se réjouissait d'une proie nouvelle.
On allait vers lui et, malgré les pieds dans la boue, on ne se sentait pas dans le marais.
Lui, il reculait, reculait toujours pour vous attirer plus avant jusqu'au profond de la vase où vous vous enfonciez sans merci.
Pessaut, Guérin, la Marguerite, et combien d'autres encore, étaient morts comme ça.
On n'avait jamais retrouvé leurs corps, juste les traces de leurs pieds dans la partie plus dure des bords de ce Gobe-Boeuf qui, sans doute, partageait ensuite la chair avec le Hupeur.

Mais, il était facile de savoir qu'il s'agissait de lui puisque, la nuit, les oiseaux ne chantent ni ne sifflent.
Aussi, lorsque vous l'entendiez, fallait-il vite aller tourner la clef de votre porte jusqu'en bout de pêne, se barricader de partout, écraser vos poings sur vos oreilles, vous enfouir entre les draps et, surtout, être au moins deux afin que l'un retienne l'autre d'obéir à l'appel néfaste...
Et, après m'avoir jeté cela comme on se débarrasse d'un secret qui gêne trop, Sylvain me quitta en toute hâte, emportant la lampe et me laissant dans le noir.
Je l'entendis donner deux tours de clef, sans doute par habitude, puis il descendit, trébuchant dans sa précipitation.
L'aiguille argentée de la lune, profitant de l'oeil-de-boeuf ouvert, s'enfonçait dans le noir du grenier, mais ne creva pas le lourd silence qui se gonfla alors, tel un ballon.
Je me dévêtais et m'allongeais sur le lit, oubliant dans ma fatigue les inquiétantes images laissées en moi par ce domestique superstitieux.

La chaleur m'empêcha de dormir immédiatement.
Je me retournais sans cesse, oppressé, jusqu'au moment où je décidais d'aller ouvrir la porte de la tour.
Après maints tâtonnements, je la trouvai.
L'air frais qui arriva par là, s'unissant à celui qui entrait par l'oeil-de-boeuf, m'allégea.
Je me recouchais et, cette fois, le sommeil m'obéit presque tout de suite.
Je fis un rêve dont le début me fut très agréable mais qui, peu à peu, m'envahit d'un sourd malaise...
Je me trouvais dans une vaste salle de bal, en habit d'une autre époque, détendu et satisfait, au creux d'un fauteuil...
Une belle jeune femme venait m'inviter, usant des sourires les plus charmeurs...
Mais je refusais, impoli, restant assis alors que j'aurais dû me lever et lui accorder avec empressement la danse qu'elle me demandait...
Elle, sans paraître le moins du monde choquée par mon attitude, riait alors d'une façon étrange, sur trois notes aiguës balancées de silences qui faisaient rythme...
Me prenant ensuite par les mains, elle me tirait à elle...
Je m'alourdissais...
Mais sa douce force parvenait peu à peu à me soulever...
Debout, j'éprouvais une sensation de nudité et une gêne soudaine m'obligeait à fuir...
Je heurtais maladroitement un mur ou une porte fermée, je ne me rappelais pas...
Je tombais, et des gens venaient me relever, en me plaignant...
Leurs mains me soutenaient, et m'entraînaient hors du bal dans un parc frais sentant l'herbe coupée...

On me conduisait à un puits et, là, soit par jeu, soit par méchanceté, on me poussait comme pour m'obliger à enjamber et sauter la margelle...
Je résistais en me laissant choir à terre où, pris d'une brusque terreur, je m'appesantissais, refusant d'accomplir cet acte stupide...
Et j'entendais à nouveau le rire strident de la jeune femme devenue invisible, mais auquel je portais désespérément toute mon attention, regrettant trop tard de ne pas m'être joint à elle...

Le froid du petit jour me réveilla.
Je me trouvais sur la terrasse de la tour, allongé à même le sol et frissonnant.
Un brouillard gris recouvrait Guernipin, peu à peu doré par le soleil naissant.
L'instant de stupeur passé, je compris sans peine les raisons de ma présence à cet endroit.
Aucun doute n'était possible : étouffant dans cette serre de grenier et avide de grand air, je m'étais levé à demi conscient, pour finir la nuit là.
Me penchant alors à un créneau, je découvris l'impressionnant à-pic de la tour, et, bouleversé, je réalisais qu'elle épouvantable chute j'avais risquée !

Cette nouvelle journée avec M. de la Tibaldière se passa aussi ardemment que celle de la veille.
L'homme en savait tant et plus, que ce soit sur l'ambiguïté de l'onagre ou sur les migrations cycliques des phacochères, avec anecdotes et digressions biologiques à l'appui.
Nous déjeunâmes dans le parc, à l'ombre tiède d'un cèdre que le vent, un rien levé, cherchait vainement à dépeigner, La table était une longue dalle funéraire, prise au sol d'une abbaye voisine abandonnée, nous mangeâmes de bon appétit sur le ventre d'un sévère abbé, gravé raide.
Le soir venu, nous n'avions pas encore atteint le second étage où, à entendre M, de la Tibaldière brusquement survolté à cette évocation, se trouvaient les joyaux de sa collection : coelacanthes, grands sauriens de Bornéo et autres survivants des époques antédiluviennes.
Aussi dînai-je encore à Guernipin, mais je réussis à échapper à la conférence, après le repas.
Connaissant les lieux, je montais seul me coucher, gardant cette fois la lampe.
Et, redoutant un nouveau réveil sur la terrasse, si je laissais ouverte la porte qui donnait sur le couloir, je fermais solidement celle de la tour afin que semblable mésaventure ne m'arrivât pas à nouveau.
Me couchant, je commençais un livre ; mais, dès la troisième page, il me tomba des mains.
Je soufflais la lampe et le sommeil me vint.
Cette fois la chaleur ne me tourmenta point, au contraire !
Je fus mêlé à un rêve d'abord léger...
Je visitais seul Guernipin, découvrant par moi-même des salles nouvelles et étonnantes de variété... Je pouvais enfin toucher et prendre à ma guise, dans mes bras, des oiseaux au plumage doux et caressant...

Oiseaux mystérieux, de formes inconnues qui, à mon contact, s'animaient et palpitaient...
Ils étaient bientôt si nombreux autour de moi qu'en me heurtant ils parvenaient à me pousser et à me guider vers la liberté du parc où ils continuaient à m'entourer, silencieusement agissants...
M, de la Tibaldière apparaissait alors au perron et, indigné, me criait de revenir avant que ne s'échappent à jamais les plus secrètes pièces de sa volière...
La colère étranglait ses cris au point de les faire ressembler à ceux d'un crapaud-buffle...
Mais, ne l'écoutant pas, je
m'enfuyais soudain, coeur de cette grappe d'oiseaux rendus à la liberté auxquels j'obéissais, et qui m'entraînaient à perdre haleine...
Je courais ainsi jusqu'à ressentir une violente oppression...
Essoufflé, je me sentais peu à peu entravé dans ma course par des forces visqueuses qui me réveillèrent soudain,

Il m'est impossible de décrire aujourd'hui la violente répulsion que j'éprouvais en subissant réellement cette froide viscosité.
Brutalement, je revins à la réalité, les jambes dans la boue gluante.
Où était le lit sur lequel je croyais dormir ? Où était Guernipin ? Où me trouvais-je ?
Maintenu par une monstrueuse ventouse qui m'aspirait lentement, je m'enlisais dans un infect marécage nauséeux.
Mes mains, mes bras, cherchaient vainement un appui solide : racine ou branche, la vie...
Lorsque de subits mugissements, semblables à ceux d'un taureau irrité, brisèrent mes élans.
Venant du marais où je m'enfonçais, ils creusaient bruyamment la nuit.
Malgré mon effroi, j'identifiais les appels d'un héron.
Seulement, au lieu d'être réguliers dans leurs trois notes consécutives, ses cris étaient des plus désordonnés.
Je l'aperçus enfin.
Il s'ébattait violemment non loin de moi.
Alors, fulgurants, les propos de Sylvain me revinrent : je pensais au Hupeur.
Et s'il existait vraiment !
Ce ne pouvait être que lui, s'esclaffant à juste raison de sa ridicule et pitoyable victime.
Je me trouvais donc dans le Gobe-Boeuf !
Cependant, je remarquais qu'il sautillait comme si la vase cherchait également à le saisir pour l'engloutir, En me voyant reprendre mes efforts pour fuir cette boue qui gagnait peu à peu sur moi, il redoubla ses cris, à croire qu'il voulait m'en fouetter afin de m'aider à échapper à l'enlisement,
Je réussis enfin à atteindre une proche nappe d'herbes et, me dégageant de la terre gloutonne, y rampais, Le héron s'était rapproché de moi et me soutenait par ses ébats.
Ainsi m'aida-t-il à parvenir jusqu'au sol dur d'un chemin caillouté.
Et si, épuisé, je ne m'abandonnais pas là, je le dus encore à cet oiseau providentiel qui, me donnant des coups de bec, m'obligea à me lever pour repartir sans tarder vers Guernipin que j'apercevais, massif et rassurant, à portée d'espoir.
C'est alors que je sentis cette invisible force hostile qui me lia d'épouvante.
J'éprouvais la terrifiante sensation qu'une immense mais impalpable aile unique volait autour de moi, agile telle une raie de néant dans l'océan de la nuit, réalité immatérielle qui me poussait avec une impitoyable constance afin de me ramener dans le marais.
Sans les cris désespérés du héron qui se livrait à un affolement paroxystique afin de venir une fois encore à mon secours, en me forçant à fuir, j'avoue que je n'aurais pas lutté contre cette Chose qui parvenait à me reprendre et à m'entraîner avec elle.
Et je compris!
Je compris que le Hupeur, fût-il hibou, corneille, héron ou n'importe quel oiseau qui se trouvait là et sentait cette mort volante, n'était ni une légende, ni un ennemi de l'homme, mais son protecteur...
Qu'il l'avertissait de l'indicible danger perçu par lui...
Que ses cris, loin d'être des appels maudits, étaient sa mise en garde : épouvanté lui-même, il hurlait contre la peur et non pour elle !...
Le marais de Gobe-Boeuf, favorable antre putride, gardait encore, après des millénaires, un invisible monstre goulu, survivant de ces temps où les puissances néfastes régnaient sous les formes les plus subtiles !
Je crus alors voir passer deux lueurs glauques et fugaces...
Un éblouissement, reflet de mon effroi ?
Non... des yeux !
Hurlant de dégoût, je réussis à m'arracher à cette horreur qui m'avait choisi et était déjà venue vainement me chercher une première fois, la nuit passée, dans mon sommeil, jusque sur le lit de Guernipin.

A son lever, M, de la Tibaldière, déjà impatient de me faire visiter l'étage aux ancêtres préhistoriques, dut ordonner à Sylvain de monter me réveiller.
Mais celui-ci, à part des traces de boue laissées partout, ne trouva de moi que ce billet qui restera sans doute énigmatique à tous :

... N'abattez jamais le Hupeur...

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Rédigé par Ville de Chatillon

Publié dans #Contes Berrichon

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Publié le 27 Janvier 2012

 

   

 

 

 

Les historiens du Berry désignent cette région comme le pays privilégié des meneux de loups et jeteux de sorts.La croyance aux meneux de loups est répandue dans toute la France. C’est le dernier vestige de la légende si longtemps accréditée des lycanthropes. En Berry, où déjà les contes que l’on fait à nos petits enfants ne sont plus aussi merveilleux ni aussi terribles que ceux que nous faisaient nos grand’mères, je ne me souviens pas que l’on m’ait jamais parlé des hommes-loups de l’antiquité et du moyen-âge. Cependant on s’y sert encore du mot de garou qui signifie bien, à lui tout seul, homme-loup; mais on en a perdu le vrai sens. Le loup-garou est un loup ensorcelé, et les meneux de loups ne sont plus les capitaines de ces bandes de sorciers qui se changeaient en loups pour dévorer les enfants; ce sont des hommes savants et mystérieux, de vieux bûcherons ou de malins gardes-chasse, qui possèdent le secret pour charmer, soumettre, apprivoiser et conduire les loups véritables.

 Je connais plusieurs personnes qui ont rencontré, aux premières clartés de la lune, au carroi de la Croix-Blanche, le père Soupison, surnommé Démonnet, s’en allant tout seul, à grands pas, et suivi de plus de trente loups.

Une nuit, dans la forêt de Châteauroux, deux hommes, qui me l’ont raconté, virent passer sous bois, une grande bande de loups. Ils en furent très effrayés et montèrent sur un arbre, d’où ils virent ces animaux s’arrêter à la porte de la hutte d’un bûcheron. Ils l’entourèrent en poussant des hurlements effroyables. Le bûcheron sortit, leur parla dans une langue inconnue, se promena au milieu d’eux, après quoi ils se dispersèrent sans lui faire aucun mal. Ceci est une histoire de paysan. Mais deux personnes riches, ayant reçu de l’éducation, gens de beaucoup de sens et d’habileté dans les affaires, vivant dans le voisinage d’une forêt où elles chassaient fort souvent, m’ont juré, sur l’honneur, avoir vu, étant ensemble, un vieux garde-forestier, de leur connaissance, s’arrêter à un carrefour écarté et faire des gestes bizarres. Ces deux personnes se cachèrent pour l’observer et virent treize loups, dont un énorme alla droit au charmeur et lui fit des caresses; celui-ci siffla les autres, comme on siffle des chiens, et s’enfonça avec eux dans l’épaisseur du bois. Les deux témoins de cette scène étrange n’osèrent l’y suivre et se retirèrent aussi surpris qu’effrayés. Ceci me fut raconté si sérieusement que je déclare n’avoir pas d’opinion sur le fait.

 

 

George Sand

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Rédigé par Ville de Chatillon

Publié dans #Contes Berrichon

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Publié le 23 Janvier 2012

La mère Pinguet, de la Chaune Sauteriot*, en Berry, avait le dos rond et couvert de mousse, comme les tuiles de son toit. Elle était surtout connue pour sa méchanceté. Lorsqu'elle traversait le village, appuyée sur son bâton, sa robe de cotonnade balayant la route, ses cheveux blancs voltigeant par mèches hors du bonnet, nul ne se souciait de lui adresser la parole.
Les paysans la tenaient pour sorcière. Ils racontaient, revenant des foires de la région, assez tard, la nuit, qu'ils l'avaient vue sortir maintes fois de sa demeure une lanterne allumée, balai à la main.
Sûrement à pareille heure, elle se rendait au sabbat ! A la vérité, elle allait simplement visiter ses poules dont les cris de détresse dénonçaient la présence dans leur poulailler d'une sauvagine dangereuse : belette ou putois.
Jamais personne n'entrait dans son taudis.
Les jours de mardi gras, elle s'y enfermait à double tour, depuis que les gamins de La Chaume-Sauteriot l'avaient poursuivie avec des sabres de bois en disant qu'ils allaient la couper en deux.
Un matin, tandis que la brise secouait sa porte close, la mère Pinguet, assise devant un maigre feu de brandes, grommelait :
"

- Qui qu'à me veut, c'te pie ? Enfin qui qu'à m'veut elle est peut-être ben envoyée par le mauvais esprit pour me jeter un sort."

Depuis trois jours, une pie venait chaque matin se poser sur le bord de sa fenêtre et semblait la narguer de son cri aigre et répété.
La vieille se coucha, ce soir-là, l'esprit très tourmenté. Il pouvait être minuit. Brusquement, une rafale glacée tourbillonna en sifflant dans la maison et souleva la cendre du foyer, mettant à nu deux tisons rouges.
La vieille se réveilla en sursaut. Le vent était reparti, laissant régner le silence et la nuit.
Alors la mère Pinguet perçut un bruit de pas sur les carreaux, des frôlements au pied de son lit. Suant de peur, elle enfouit sa tête dans les draps comme pour se protéger d'une chose mystérieuse dont elle se sentait vaguement menacée
Lorsqu'elle risqua le nez hors des couvertures, il lui sembla qu'autour d'elle l'air s'était épaissi, raréfié. Elle ne respirait plus.
Et voilà qu'un objet, pesant comme une pierre, mais dont elle n'aurait su dire la nature, venait de se poser sur sa poitrine, celà l'oppressait à J'étouffer.
Soudain, par la vitre givrée, le pinceau de la lune traça dans les ténèbres une grande raie bleue au milieu de laquelle apparut une chose étrange : la pie au funèbre plumage de velours noir et blanc se tenait immobile sur la poitrine de la vieille et fixait celle ci de ses prunelles de topazes ardentes.
La silhouette de l'oiseau était profilée sur le mur en ombre géante.
La mère Pinguet ne pouvait articuler un mot ni faire un mouvement.
Tout le reste de la nuit se passa ainsi.
Enfin, sur le matin, la pie disparut. La vieille l'entendit sautiller sur le carreau, descendre les marches, puis la porte restée ouverte se referma d'elle même.

"J'ai rêvé>", marmotta la vieille en se levant.

Elle alluma son feu, prépara sa soupe et sortit pour aller puiser de l'eau.
La première chose qu'elle vit, ce fut la pie qui claquetait du bec sur le bord de la fenêtre et lançait par intervalles son cri rêche et moqueur.
"

Attends un peu, bête du diable !" cria la vieille, s'armant d'un balai, "J'vas te faire venir troubler mon repos."

L'oiseau prit son vol saccadé dans le ciel qui était d'un bleu de lin fleuri.
Le soir tombant, la vieille tendit sur la fenêtre des baguettes enduites de glu, barricada sa porte et se coucha.
Elle ne pouvait dormir, l'oreille tendue aux lamentations du vent sous sa porte et dans les solitudes.
L'oiseau ne parut point.
Au premier coup de l'angélus, elle se leva. Deux ailes claquèrent aux vitres de la fenêtre. Elle sortit. Un éclair de joie traversa ses yeux. La pie était prise. La vieille s'en saisit et l'emporta dans son logis.
Elle la tenait entre ses doigts griffus, se demandant quel supplice elle allait lui infliger.
Ferait-elle de sa tête une pelote d'épingles ? Lui couperait-elle pattes et bec ? La brûlerait-elle à petit feu ?
Un diabolique sourire détendit ses lèvres pincées. Elle avait une idée.
ELLe ouvrit son coffre, y jeta la pie et, laissant retomber le couvercle comme la pierre d'un tombeau, elle prononça cette phrase :
"- Tu mourras de faim !"

Trois jours après, les voisines, ne voyant plus la vieille, se hasardèrent jusqu'à son logis. La porte était entrouverte. Craintives, elles entrèrent.
La mère Pinguet, étendue sur sa couche, venait de rendre le dernier soupir.
Comme les voisines cherchaient un drap pour l'ensevelir, elles ouvrirent le coffre et y trouvèrent le cadavre tout chaud de la pie.

 

*Soteriot:Sauterelle

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Rédigé par Ville de Chatillon

Publié dans #Contes Berrichon

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