Un canal.Texte de Pascal de Gossellin.11

Publié le 9 Juillet 2014

Maintenant le passage aux écluses était différent, plus chaleureux : les éclusier connaissaient la Clotilde, les Bellestre. On parlait de l’état du canal, d’Etienne qu’ils n’avaient jamais vu.

Il y avait aussi de scènes de tous les jours : une petite fille en bicyclette avec un talkie-walkie qui appelait son papa en lui demandant sans cesse :

  • Papa, tu m’aimes ?

Il y avait eu aussi une jeune fille qui faisait la manœuvre en l’absence de son père : Etienne avait un peu regardé sous sa jupe pendant que la péniche s’élevait vers l’amont. La fille l’avait vu et s’était reculé en riant.

 

En fin de journée, un méchant brouillard, – il y a quelquefois à cette saison – tomba et ils purent à peine écluser à Brienon. L’éclusier leur conseilla de s’amarrer tout près, juste après un méandre : il y avait là quelques bollards, souvenirs d’une ancienne carrière de pierre. Le brouillard était devenu si épais que l’accostage fut difficile : il leur fallut chercher les bittes d’amarrage à l’aveuglette, parfois en les heurtant du tibia.

 

Au matin, le brouillard était toujours aussi dense. On devait pourtant avancer. Etienne fut placé à la proue, avec pour rôle de guider le pilote en montrant du bras de quel côté il fallait aller. Pour mieux voir, Bellestre, avait levé les vitres à l’avant de la cabine de pilotage et Suzanne regardait partout pour alerter de la voix. Ils n’étaient pas trop de trois !

Tout allait bien malgré un parcours de plus en plus étroit et sinueux, quand à proximité de l’écluse de Saint-Florentin, dans un méandre plus serré que les autres et malgré les sémaphores d’Etienne, le bateau toucha l’enrochement par l’arrière. On entendit la coque frotter sur la pierre, puis une sorte de claquement sec, comme inachevé, la péniche s’immobilisa dans un silence total, moteur calé sans doute.

Les trois mariniers perdirent la notion du temps pendant quelques secondes, jusqu’à ce que Bellestre profère un puissant :

  • Merde !

et commence à engueuler tout le monde, brouillard compris.

Puis, le métier reprit le dessus : chacun inspecta une partie de la péniche, Bellestre la coque : pas de fuite apparente ; Suzanne confirma le bateau n’avait pas pris de gîte ; Etienne, dans la salle des machines, vérifia l’arbre de l’hélice : il n’était pas bloqué et se demanda pourquoi le moteur avait calé.

Bellestre décida donc de remettre le moteur en marche au point mort d’abord, puis en battant tout doucement en arrière. Le bateau répondit. On repartit en avant en serrant vers la rive opposée. La manœuvre réussit et Etienne, toujours devant cria qu’il voyait l’écluse de Saint-Florentin mais que les portes étaient fermées. Bellestre actionna la corne, pourtant rien ne bougea. Après plusieurs tentatives infructueuses, Etienne fut chargé de sauter à terre pour alerter l’éclusier. Comme il ne trouva personne, il aperçut un interphone au mur de la maison éclusière fermée. Il appuya sur le bouton rouge règlementaire, mais il n’eut aucune réponse. Il n’entendit même pas grésiller le haut-parleur. L’installation semblait hors d’usage.

Le patron prit son téléphone portable pour appeler le bureau du canal, mais il n’y avait pas de réseau.

  • C’est souvent le cas dans les vallées : il va falloir écluser nous-même.

Pour gagner du temps, la patronne rejoignit Etienne, mais quand ils voulurent fermer les portes amont, les crémaillères étaient bloquées, couvertes de rouille. C’était invraisemblable pour une écluse qui servait tous les jours !

 

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Rédigé par Le blog sur Chatillon sur Indre

Publié dans #Ecrivain et romancier de Chatillon

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